Contourner et réparer les lésions de la moelle épinière

Voilà plus de 10 ans que les approches thérapeutiques proposées par Grégoire Courtine, Jocelyne Bloch et leur équipe alignent les succès. Retour sur les nombreuses percées annoncées par les chercheuses et chercheurs de l’EPFL et du CHUV. 
En 2018, David Mzee a pu marcher grâce à des stimulations électriques précises de sa moelle épinière par un implant sans fil - 2018 EPFL / Jamani Caillet - CC-BY-SA 4.0

Début novembre, les images d’un patient atteint de parkinson faisaient le tour du monde. On y voyait comment, grâce à un implant, Marc, 62 ans, pouvait marcher presque naturellement au lieu de «patiner» à chaque passage de porte.

Quelques mois plus tôt, un autre patient, tétraplégique à la suite d’un accident, retrouvait le contrôle de ses jambes par la seule force de sa pensée. Dans les deux cas, c’est un champ d’électrodes souples placées sur la moelle épinière qui prenait le relais pour contourner une lésion et appliquer des signaux électriques aux bons endroits.

Une neuroprothèse restaure la marche chez Marc, qui vit avec la maladie de Parkinson depuis près de trois décennies © Gilles Weber / CHUV

Comprendre en profondeur

Le contrôle de la marche par le cerveau était déjà le thème de la thèse de doctorat de Grégoire Courtine en 2003. Des années de recherches approfondies, qui ont permis de décrire la nature et l’organisation des signaux électriques transmis aux membres au travers de la moelle épinière, ont permis dès 2012 de réaliser un véritable exploit: redonner la capacité de marcher à des rats paraplégiques. La publication dans Science cette année-là allait donner son envol aux travaux de Courtine et son équipe. «Nos recherches étaient d’abord basées sur une compréhension profonde des mécanismes physiologiques permettant la marche, explique-t-il. Ce n’est que dans un second temps que nous avons développé l’électrostimulation permettant d’imiter les instructions envoyées par le cerveau.»

Le chercheur s’est dès lors entouré des bonnes partenaires. Également professeure à l’EPFL, Stéphanie Lacour est spécialiste des implants souples. C’est dans son laboratoire qu’ont été développés les champs d’électrodes qui, appliqués directement sur la dure-mère de la moelle épinière, permettent de simuler les impulsions cérébrales lorsque le passage naturel de celles-ci est bloqué. Et pour assurer la pose de ces électrodes, c’est la neurochirurgienne Jocelyne Bloch, du CHUV, qui s’est embarquée dans l’aventure.

Les travaux autour de la régénération de la moelle épinière ont commencé en 2012 avec des rats. Photo: EPFL - CC-BY-SA 4.0

Plusieurs affections dans le viseur

L’idée de rétablir un «pont» entre le cerveau et les membres ne s’applique pas qu’à des patients victimes de blessures. Certaines maladies, comme parkinson, ont également des impacts sur la motricité. D’autres, comme l’atrophie des systèmes multiples (MSA), provoquent des troubles de la tension artérielle pouvant condamner les patients à rester couchés. Une stimulation ciblée de la moelle épinière permet là aussi de rétablir le contrôle de la pression sanguine. «La beauté de nos travaux, c’est qu’ils peuvent être appliqués à un grand nombre de pathologies et de fonctions neurologiques», reprend Grégoire Courtine.

Ils ont en outre l’avantage de pouvoir intégrer les évolutions technologiques. Ainsi, les chercheurs s’appuient aujourd’hui sur l’intelligence artificielle pour décoder, puis imiter les signaux cérébraux pertinents afin de déclencher plus précisément les mouvements des membres.

La mise au point d'électrodes souples a permis des premières applications cliniques. Photo: EPFL - CC-BY-SA 4.0

Vers une stratégie de guérison

Les recherches menées au centre .NeuroRestore, basé à l’EPFL et au CHUV, que Grégoire Courtine codirige avec Jocelyne Bloch, vont au-delà de la création d’implants. Ils s’intéressent également à la régénération des fibres nerveuses au travers des lésions, rendue possible en combinant l’administration de thérapies géniques spécifiques à un processus de réhabilitation qui peut être basé sur des neuroprothèses. «Notre conviction est qu’un traitement complet d’une lésion de la moelle épinière devra à l’avenir faire intervenir en parallèle les deux approches – celle, biologique, qui permet la repousse des fibres nerveuses, et celle, basée sur nos neuroprothèses, qui restaure une communication efficace entre le cerveau et les neurones dédiés à la mobilité», déclarait Grégoire Courtine, en septembre, en marge d’une nouvelle publication dans Science démontrant une stratégie favorisant la repousse des fibres nerveuses chez la souris.

Aussi spectaculaires soient-elles, ces prouesses se limitent pour l’instant à un nombre très restreint de patients, dans le cadre d’essais cliniques. L’ambition des chercheurs qui en sont à la source n’en est pas moins inversement proportionnelle: tant par le biais du centre .NeuroRestore qu’avec la start-up Onward Medical, l’objectif est clairement de faire de ces succès les premiers jalons d’approches thérapeutiques qui pourront bénéficier au plus grand nombre à l’avenir.