Introduire avec succès les innovations
Le besoin de liberté et le libre arbitre sont profondément enracinés dans notre culture occidentale. C’est pourquoi il n’est pas rare que les règlementations, les interdictions et même les recommandations provoquent des réactions de rejet. Certaines personnes pensent «maintenant plus que jamais» et tendent obstinément la main vers la cigarette à cause de l’indication «fumer peut mettre votre santé en danger». D’autres défendent leur liberté personnelle en refusant démonstrativement de porter le masque alors qu’il est obligatoire.
La recherche en psychologie parle à ce propos de réactance – un mécanisme de résistance pour maintenir sa liberté d’action lorsqu’un individu la croit ôtée ou menacée. La politique énergétique est elle aussi confrontée à des phénomènes de réactance quand par exemple le prix de l’essence augmente ou lorsqu’on veut introduire des innovations comme les chauffages neutres pour le climat.
Nadja Contzen, cheffe du groupe Eawag «Environmental Health Psychology» (santé environnementale et psychologie), étudie avec des chercheurs de l’«Environmental Psychology Group» de l’université de Groningen aux Pays-Bas, comment réagissent les gens lorsque leur libre arbitre est restreint par des mesures de politique énergétique. Ce qui les intéressent en particulier, c’est de savoir lesquelles des mesures coercitives ou facultatives permettent une meilleure introduction des innovations. Car même si les dispositions contraignantes sont en général plus efficaces, le rejet de la population peut finalement être si grand que les responsables politiques doivent reculer sans pouvoir imposer ces dispositions.
Les valeurs individuelles influencent les réactions émotionnelles
«Outre la réactance, nous nous sommes intéressés à l’influence des valeurs personnelles des personnes concernées. Nous avons donc combiné le concept de réactance établi avec le modèle de valeurs que nous avons développé», explique N. Contzen. Le modèle VICE (Value-Innovation-Congruence model of Emotional responses) affirme que les valeurs individuelles influencent la réaction des gens aux mesures politiques destinées à promouvoir les innovations. Si les valeurs d'une personne sont en accord avec les objectifs de l’innovation, cela engendre des émotions positives. En revanche, si les valeurs sont en contradiction avec l'innovation, les émotions engendrées sont négatives.
Un exemple: ceux pour qui la nature et la protection de l’environnement sont importants, sont plutôt ouverts aux innovations favorables au climat. En revanche, les gens qui se soucient avant tout de leur bien-être et de leurs finances réagissent généralement négativement, voire avec colère, aux nouvelles exigences de la politique énergétique. En effet, nombre de ces mesures exigent que les citoyennes et les citoyens mettent la main à la poche.
Expérience de terrain aux Pays-Bas
Pour tester dans la réalité le développement théorique – la combinaison du concept de réactance et du modèle de valeurs – l’équipe de chercheurs a conduit une expérience de terrain dans un quartier de la ville de Groningen aux Pays-Bas. Les chercheurs ont choisi au hasard des maisons d’un quartier où ils ont distribué des questionnaires aux propriétaires.
En accord avec la municipalité, tous les participants ont été informés dans le questionnaire que la municipalité voulait accélérer le passage du chauffage au gaz aux pompes à chaleur air-eau et discutait de différentes options à ce propos. Ensuite, «l’option obligatoire» a été précisée pour une partie des personnes interrogées: La municipalité envisage de rendre obligatoire l'installation d’une pompe à chaleur pour tous les propriétaires par le biais d’une ordonnance. Pour l’autre partie des personnes interrogées, c’est «l’option facultative» qui est décrite: La municipalité réfléchit pour inciter les propriétaires à passer à la pompe à chaleur par le biais d’une campagne d’information. Les dernières questions étaient réservées à la réaction des participants. Les chercheurs ont évalué 97 questionnaires remplis.
Plus de courage politique
L’équipe de chercheurs a publié les résultats de l’expérience sur le terrain dans la revue spécialisée «Energy Research & Social Science». Les principales conclusions: La quasi totalité des participants a perçu l'ordonnance annoncée comme une restriction de liberté. Toutefois, les émotions négatives et la résistance à la politique étaient faibles. Il n’y a eu aucune protestation dans le quartier, ni même de plaintes contre les chercheurs ou la municipalité. Les chercheurs en concluent que les propriétaires accepteraient l'obligation d’une pompe à chaleur, même à contrecœur.
«Par crainte des mouvements de protestation, la politique est souvent réservée lorsqu'il s’agit d’imposer de nouvelles exigences», déclare N. Contzen. «Selon notre étude, elle pourrait parfois oser davantage et légiférer, même si cela provoque une résistance au début.» D’autres études nous apprennent en outre que la réactance disparaît souvent rapidement lorsque des mesures sont adoptées définitivement. Une autre bonne raison pour plaider en faveur d’un peu plus de courage politique.
L’étude montre de plus, qu’outre la réactance, les valeurs individuelles influencent les réactions. Comme le prédit le modèle VICE, plus les personnes interrogées accordent de l’importance à leur propre bien-être, plus les émotions négatives sont importantes, notamment à l’encontre de la règlementation. Si l'on se préoccupe principalement de ses propres finances, les coûts imposés pour l’achat d’une pompe à chaleur ont tendance à susciter la colère.
«Nous avons été surpris par la réaction des personnes très concernées par la protection de l’environnement», déclare N. Contzen «Nous pensions que l’obligation pour tous les foyers d’installer une pompe à chaleur leur semblerait attractive car c’est un moyen de réduire efficacement les émissions de CO2.» Mais les personnes de sensibilité écologiste n’ont pas du tout réagi positivement à une éventuelle obligation de pompe à chaleur, au contraire, cela a eu tendance à susciter de la résistance à cause de la perte de libre arbitre.
Insister sur l’efficacité de la règlementation
Les chercheurs ont étudié de plus près ce résultat et ont découvert que les propriétaires interrogés considéraient les deux options aussi bonnes l’une que l’autre pour la protection du climat. Cela explique pourquoi l'option obligatoire ne suscite pas d’émotion positive chez les personnes sensibles à l’environnement.
«Si les responsables politiques veulent promouvoir l’acceptation des technologies innovantes, ils pourraient donc insister davantage sur le fait que les règlementations peuvent mieux protéger le climat que les recommandations non contraignantes», explique N. Contzen. Cela permettrait au moins de favoriser l’acceptation par ceux qui attachent de l’importance à la protection de l’environnement. «Si on veut en revanche convaincre les personnes qui surveillent ou doivent surveiller leurs dépenses, ce sont les subventions qui sont les plus convaincantes.»