La santé des femmes au coeur des nouvelles technologies

Beaucoup d’hommes et presque autant de femmes ignorent ce qu’est une pince de Pozzi. L’instrument, actionné comme une paire de ciseaux et terminé par deux griffes, permet d’« attraper » le col de l’utérus lors d’actes gynécologiques communs tels que la pose d’un stérilet. Non seulement son utilisation – sans anesthésie, près de 80 millions de fois par an dans le monde – peut-être extrêmement douloureuse, mais elle peut aussi provoquer des saignements voire des trous dans le col de l’utérus. La pince date de la fin du XIXe siècle et n’a pas évolué d’un iota depuis. Pas étonnant quand on sait que seuls 4% de la recherche en santé cible la santé des femmes en dépit de ses spécificités (maternité, menstruations, contraception, fertilité, ménopause, santé mentale, cancers…).

C’est à ce genre d’indignité, d’aberration ou d’inégalité que cherche à répondre la FemTech (Women’s Health Technology). Elle rassemble les technologies et les solutions répondant à des besoins qui touchent les femmes dans le secteur de la santé. Lancé le 8 mars 2021, le programme conjoint entre l’EPFL Innovation Park et le Groupe Mutuel Tech4Eva a donné un coup d’accélérateur aux start-ups de la FemTech. Pionnier en Europe (hors Royaume-Uni), il a permis de propulser 30 start-ups à haut potentiel durant 9 mois grâce à des séminaires, un mentorat spécialisé, des rencontres avec des investisseurs et des tournées au Japon, aux Etats-Unis, au Royaume-Uni et en Suisse. Le 7 décembre prochain, les partenaires tiendront la Conférence annuelle de la FemTech suisse au SwissTech Convention Center. Elle sera l’occasion de faire un bilan sur cette plateforme d’innovation, mais surtout d’aller de l’avant avec un livre blanc sur ce qu’il reste à faire.

« Avec Tech4Eva, nous avons créé un réseau d'affaires et un écosystème FemTech solide avec non seulement des start-ups, mais aussi des entreprises, des chercheurs et des prestataires de soins de santé », résume Ursula Oesterle, présidente de l’EPFL Innovation Park. « Nous aspirons à devenir le centre national d'innovation pour la santé des femmes, et à porter l'innovation FemTech à un niveau supérieur. »

Remplacer la pince de Pozzi

Au départ seules 15 start-ups devaient être sélectionnées. Cent-dix ont postulé ! Le programme en a finalement retenu 30, dont un tiers issu de Suisse : 15 en phase de démarrage et 15 en phase de croissance. Elles concernent quatre domaines : la prévention et le bien-être, la grossesse et le post-partum, la fertilité et, finalement, la ménopause, les menstruations et l’incontinence. Parmi les jeunes pousses retenues, on peut noter un système pour traquer les vicissitudes du cycle dans la respiration (breathe ilo), un bracelet électronique pour s’attaquer aux bouffées de chaleur (Embrlabs), une sonde connectée pour renforcer le plancher pelvien (Fizimed), un test rapide pour détecter la prééclampsie (MOMM Diagnostics), une thérapie cellulaire autologue pour régénérer des tissus musculaires endommagés (Muvon Therapeutics), l’intelligence artificielle pour mieux diagnostiquer les maladies cardiaques (CorDiFio), un système pour raccommoder la paroi utérine après une chirurgie in utero et ainsi éviter une naissance prématurée (Kove medical) ou une ventouse indolore pour – enfin - remplacer la pince de Pozzi (Aspivix).

60 millions et plus

« Embrlabs a participé à de nombreux accélérateurs, et l'expérience Tech4Eva a été l'une des plus précieuses à ce jour. En plus de l'excellente exposition et du mentorat, il est rafraîchissant de participer à un programme dédié au domaine de la FemTech pour permettre aux entreprises d'accélérer l'apprentissage et la croissance », témoigne Elizabeth Gazda, fondatrice et directrice générale d'Embrlabs, basée à Boston. Embrlabs a levé jusqu'à présent 35 millions de dollars de capital-risque, dont un tour de table de 22 millions dans le cadre du programme Tech4Eva. La start-up prévoit de lever 40 millions supplémentaires dans les 7 à 12 mois.

Financièrement, l’impact de Tech4Eva se mesure en millions levés par les start-ups sélectionnées : 60 millions de francs (26,2 millions USD en 2021 à ce jour et 33,7 millions USD en phase de conclusion de l'opération dans les 1 à 3 mois à venir). Le marché est là et il est prometteur : les femmes dépensent davantage pour leur santé que les hommes et en 2025, le marché de la FemTech devrait valoir 50 milliards de dollars. Au-delà de l’aspect pécuniaire, des femmes meurent tous les jours à cause du manque de recherche. En créant un écosystème, Tech4Eva espère aussi plus largement sensibiliser sur l’importance d’avoir une recherche genrée, pas seulement au niveau des start-ups, mais du système de santé en général, des données et de la formation dans les écoles de médecine. Sans oublier le volet sociétal pour combattre les tabous qui entourent la fertilité, les règles ou la ménopause. La prochaine édition est déjà prévue pour début 2022. L'appel à candidatures sera bientôt ouvert aux start-ups FemTech du monde entier.

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