Les nanomatériaux sous tension
Le peigne de silicium se déplace de 200 nanomètres avant d'être repoussé dans sa position initiale par le ressort intégré. Ce mouvement n'est visible ni à l'œil nu ni au microscope optique. Pour le photographier, Peter Lendway, doctorant au laboratoire Empa « Transport at Nanoscale Interfaces » et à l'ETH Zurich, a utilisé un microscope électronique à balayage. Pour les enregistrements vidéo réalisés, le chercheur a maintenant reçu le premier prix dans la catégorie « Vidéo » du concours d'images scientifiques du FNS.
Peter Lendway développe un actionneur en silicium capable de générer des mouvements de quelques nanomètres. Ce résultat est obtenu grâce à un entraînement électrostatique en peigne, maintenu en suspension et en position par plusieurs ressorts intégrés. Les structures présentées dans la vidéo sont ce que l'on appelle un système électromécanique qui, à l'instar d'un moteur électrique traditionnel, transforme les signaux électriques en mouvements mécaniques. Contrairement aux moteurs, qui servent principalement à transmettre des forces, les versions miniaturisées des systèmes électromécaniques sont souvent utilisées comme capteurs de haute précision – par exemple dans les véhicules pour mesurer l'accélération, la rotation ou la position. Leur force réside moins dans la génération de grands mouvements mais dans le contrôle et la détection de modifications infimes. Le système de Peter Lendway travaille avec des mouvements à la limite inférieure du possible, avec une précision et un contrôle allant jusqu'à quelques nanomètres. Le chercheur souhaite ainsi mettre sous tension mécanique des matériaux quantiques tels que le graphène, les nanobandes de graphène (GNR) et les nanotubes de carbone (CNT).
« Les calculs et les simulations de physique théorique montrent que ces nanomatériaux à base de carbone pourraient acquérir des propriétés électroniques, optiques et mécaniques inédites lorsqu'ils sont soumis à une tension mécanique », explique Peter Lendway. « Cependant, personne ou presque n'a encore réussi à démontrer ces effets expérimentalement – en particulier dans des conditions cryogéniques. Or, les mesures à très basses températures sont justement une condition préalable à la plupart des applications de la technologie quantique ».
Déformer de manière contrôlée des matériaux quantiques de quelques nanomètres sans les endommager, tout en mesurant leurs propriétés, n'est pas une tâche facile. Dans le cadre de son doctorat au Département des technologies de l'information et de l'électrotechnique (D-ITET) de l'EPFZ, Peter Lendway élabore une plateforme qui devrait le permettre. Son travail est soutenu par le Fonds national suisse (FNS) et le Secrétariat d'Etat à la formation, à la recherche et à l'innovation (SEFRI).
Travail de précision
Le système présenté dans la vidéo est l'un des nombreux systèmes que Peter Lendway a développés pour différents types de nanomatériaux. Tous les systèmes utilisent un actionneur électrostatique dans lequel des condensateurs sont disposés en plusieurs rangées à la manière d'un peigne. Deux de ces structures en forme de peigne s'imbriquent alors l'une dans l'autre sans se toucher. Une tension est appliquée à l'un des peignes – visible dans la vidéo sous la forme d'une coloration sombre. Le peigne chargé et le peigne non chargé s'attirent ainsi mutuellement. À une extrémité de l'actionneur, une butée veille à ce que le mouvement ne dépasse pas 200 nanomètres. Un ressort ramène l'actionneur de peigne dans sa position initiale dès que la tension est réduite. Le système de la vidéo est conçu pour entrer en contact avec des molécules individuelles. Pour ce faire, l'extrémité gauche est dotée d'un fin pont en or qui, sous l'effet de la traction, forme des électrodes tranchantes comme des atomes.
La fabrication de haute précision des minuscules systèmes électromécaniques est un défi. Un seul grain de poussière, un seul cheveu – et le système est hors service. C'est pourquoi Peter Lendway fabrique les minuscules éléments électromécaniques en salle blanche au « Binnig and Rohrer Nanotechnology Center » (BRNC) d'IBM, de l'ETH Zurich et de l'Empa à Rüschlikon. Ils sont ensuite transportés sous atmosphère protectrice à l'Empa pour y réaliser les expériences. La production d'une puce, sur laquelle peuvent prendre place entre 54 et 74 systèmes de ce type, dure environ dix jours.
Le projet de Peter Lendway n'est pas encore terminé. « Nous avons réussi à développer différentes plates-formes, chacune adaptée à un nanomatériau différent. Nous commençons maintenant à étudier leurs propriétés », explique le chercheur. Les connaissances acquises dans le cadre de ce projet pourraient un jour contribuer au développement de composants électroniques à l'échelle nanométrique dotés de nouvelles propriétés. Cela ouvrirait des possibilités pour diverses applications de technologie quantique et pour une utilisation plus efficace de l'énergie, et nous aiderait à mieux comprendre les matériaux au niveau fondamental.