Extraire le maximum d’énergie de la biomasse
La biomasse regorge d’énergie. D’après l’Institut fédéral de recherches sur la forêt, la neige et le paysage (WSL), la quantité produite en Suisse offre 97 pétajoules d’énergie primaire utilisable. Ce qui représente tout de même près de 9 % de la consommation annuelle d’énergie primaire du pays. Pourtant, même si l’énergie issue de la biomasse est renouvelable et ménage le climat, elle reste en grande partie inutilisée. Seuls 53 pétajoules, soit un peu plus de la moitié, sont extraits par combustion ou gazéification. Le reste finit dans les déchets.
Cette situation est due notamment au fait que, dans la plupart des cas, la biomasse est disponible sous forme liquide, c’est-à-dire sous forme de lisier, de boues d’épuration, de déchets organiques et de déchets alimentaires. On ne peut pas simplement les brûler et exploiter la chaleur ainsi produite, comme c’est le cas avec les résidus de bois et les résidus de récoltes. Il faudrait d’abord sécher ces déchets organiques aqueux, ce qui est coûteux et n’en vaut pratiquement pas la peine. On peut aussi produire du méthane à partir de la biomasse. Le méthane est le principaux composant du gaz naturel. Mais les installations de biogaz conventionnelles travaillent de manière relativement inefficaces. Dans le meilleur des cas, elles n’extraient que 30 % de l’énergie nette que recèle la biomasse.
A l’Institut Paul Scherrer PSI, une nouvelle installation est en train d’être mise en service, qui devrait permettre de valoriser 60 à 75 % de l’énergie contenue dans la biomasse liquide. Le rendement serait ainsi plus que doublé. Cette amélioration du rendement est le résultat d’un long processus de développement. Au cours des 20 dernières années, des chercheurs du PSI ont élaboré les fondements nécessaires à cette nouvelle technologie. Il y a six ans, ils ont démontré dans une petite installation de laboratoire baptisée Konti-C que cette dernière permettait de traiter un kilogramme de biomasse par heure. Entre-temps, ils ont construit une installation pilote de plus grande dimension, capable de traiter 100 kilogrammes de biomasse à par heure. Celle-ci devrait commencer à fonctionner en mars 2021.
De l’installation pilote à l’exploitation industrielle
«Avec cette installation pilote, nous allons tester tout ce qui devra être possible par la suite dans une installation industrielle de plus grande envergure, qui traitera 2 à 5 tonnes de biomasse par heure», explique Frédéric Vogel, ingénieur chimiste et responsable du groupe Génie des procédés catalytiques au Laboratoire de bioénergie et de catalyse du PSI. L’objectif des chercheurs est de montrer que les différents types de biomasse ne posent pas de problème à l’installation et que leur traitement ne génère pas de sous-produits indésirables. Ils mènent aussi des essais avec de l’eau et de l’azote afin de contrôler l’étanchéité. Ils vérifient si des problèmes liés à la corrosion apparaissent au sein de l’unité, ainsi que la vitesse à laquelle l’installation peut chauffer et se refroidir, sans que des composants ne soit affectés par de la dilatation thermique. En outre, ils testent aussi si l’échangeur de chaleur fonctionne correctement. Ce dernier est essentiel afin d’atteindre un rendement thermique élevé et ne faisait pas partie de l’installation de laboratoire qui ne traitait qu’un kilogramme par heure.
La particularité de cette installation novatrice réside dans sa manière de gérer l’eau issue de la biomasse. Ici, cette eau n’est pas considérée comme étant un obstacle lié à l’utilisation de l’énergie mais au contraire, elle y contribue en tant que milieu réactionnel. Au cours d’un processus appelé gazéification hydrothermale, la boue est soumise à une pression comprise entre 280 et 300 bars, et est chauffée à 400°C. «Dans ces conditions, l’eau reste liquide en dépit de la température élevée et finit par atteindre un état supercritique, détaille Frédéric Vogel. Sous cette forme, elle présente des propriétés particulièrement adéquates pour décomposer la biomasse, c’est-à-dire de permettre l’obtention des petites molécules particulièrement réactives à partir de grosses molécules.» Cette décomposition hydrothermale prépare la biomasse pour la prochaine étape, lors de laquelle un catalyseur spécifique entre en jeu afin d’accélérer la vitesse de réaction.
La conversion en biogaz est également favorisée par un mélange vigoureux dans les tuyaux de l’installation, avant que les molécules n’entrent en contact avec le catalyseur. «Cela nous permet de faire en sorte que les particules solides soient enrobées d’eau, poursuit Frédéric Vogel. De l’eau avec laquelle elles peuvent ensuite réagir grâce au catalyseur.» A ce stade, la biomasse se présente comme une sorte de pétrole brut, précise le chercheur. Elle est ensuite transportée à travers d’un filtre à charbon actif. Dans les pores minuscules de ce filtre, le matériau catalytique, en l’occurrence du ruthénium, attend l’arrivée des petites molécules de biomasse pour les transformer en méthane.
Le bon équilibre entre température, pression et vitesse d’écoulement
La recherche fondamentale des dernières années n’a pas seulement consisté à trouver le bon équilibre entre température, pression et vitesse d’écoulement, ainsi que le bon mode de mélange, mais aussi à identifier le catalyseur idéal. «A l’instar du pétrole brut, la biomasse est composée de centaines de substances différentes dont il est impossible de calculer précisément toutes les réactions, rappelle Frédéric Vogel. Nous avons donc dû faire beaucoup d’essais.» Des essais pour lesquels le PSI offrait des conditions idéales, car sa Source de Lumière Suisse SLS permet d’étudier les matériaux et leurs réactions en résolution atomique. «Nous avons ainsi été en mesure de suivre précisément comment et pourquoi tel catalyseur fonctionnait mieux qu’un autre», explique le chercheur.
Un autre avantage de l’eau supercritique réside dans le fait que les sels ne s’y dissolvent plus. Autrement dit, les précieux nutriments contenus dans la biomasse, de type phosphates et autres minéraux, peuvent être facilement séparés grâce à un séparateur de sels et réutilisés ensuite, par exemple comme engrais. En même temps, cette séparation de sels protège le catalyseur qui sinon finirait par être bouché par toutes ces substances minérales. Afin d’éviter que d’autres substances nocives ne contaminent les pores minuscules du filtre à charbon actif, un filtre supplémentaire est placé en amont dans l’installation qui est en train d’être mise en service: il s’agit d’un granulat qui réagit avec le souffre et empêche que ce dernier de pose des problèmes.
Au terme de ce processus complexe, l’installation HydroPilot produit, comme les installations de biogaz, un mélange de méthane, de dioxyde de carbone et d’hydrogène. Les deux dernières molécules sont retirées en grande partie pour que le méthane puisse être injecté dans le réseau du gaz naturel. Les autres produits sont les nutriments récupérés et de l’eau de procédé. Le reste des minéraux et des métaux lourds sont traités dans des cimenteries ou finissent en décharge. L’installation est largement autosuffisante au niveau énergétique: elle n’a besoin de courant que pour le fonctionnement électrique de la pompe. Elle produit la pression avec la pompe qui achemine aussi la boue. Quant à la chaleur, elle est fournie par un brûleur à gaz qui prélève pour ce faire un peu du gaz produit. Indépendamment de ces aspects, le rendement thermique atteint est compris entre 60 et 75 %.
Outre la biomasse conventionnelle, l’installation HydroPilot peut aussi traiter les résidus de fermentation issus d’installations de biogaz et en extraire l’énergie qui s’y trouve encore. Mais l’installation pourrait aussi être alimentée par des algues à haute densité énergétique que l’on peut produire de manière très efficace, sans entrer en concurrence avec la production agroalimentaire, contrairement au maïs par exemple.
L’installation pilote sera d’abord exploitée directement au PSI, surtout avec des boues d’épuration, car celles-ci constituent la forme de biomasse la plus complexe. «Si nous réussissons avec les boues d’épuration, nous réussirons avec tous les autres types de biomasse», résume Frédéric Vogel. Par ailleurs, des concepts pour des installations de plus grande dimension à l’échelle industrielle existent déjà. Dans ce domaine, les chercheurs sont en contact étroit avec des sociétés comme KASAG Swiss AG et TreaTech Sàrl.
Le projet HydroPilot est subventionné dans le cadre du Programme pilote et de démonstration de l’Office fédéral de l’énergie (OFEN), en coopération avec TreaTech sàrl, KASAG Swiss AG, ExerGo sàrl et Afry Schweiz AG. Il fait partie intégrante du Swiss Competence Center for Energy Research BIOSWEET (Centre de compétence suisse pour la recherche en bioénergie SCCER BIOSWEET), soutenu par Innosuisse, et de la plateforme ESI (Energy System Integration) du PSI.