Un diagnostic précoce des maladies dégénératives de l'oeil
Alors que la recherche progresse rapidement vers des traitements pour stopper ou limiter l’évolution de maladies dégénératives de l’œil pouvant conduire à une cécité, aucun appareil ne permet de diagnostiquer ces dernières de manière fiable avant l’apparition des premiers symptômes. Ces altérations des photorécepteurs, dont la plus connue est la dégénérescence maculaire liée à l’âge, ont pour point commun d’être générées par la détérioration d’une couche cellulaire située derrière les photorécepteurs : l'épithélium pigmentaire rétinien. L’appareil développé par le Laboratoire de dispositifs photoniques appliqués de l’EPFL permet d’observer cette couche dont les cellules se modifient avant l’apparition des premiers symptômes. Pour la première fois, des chercheurs parviennent à obtenir des images in vivo permettant de discriminer les cellules. Cette détection précoce permettra de détecter ces maladies, avant même que des symptômes irréversibles n’apparaissent. Les résultats de la première étude clinique font l’objet d’un article dans Ophthalmology Science.
Observer la modification des cellules situées derrière les photorécepteurs
Dégénérescence maculaire liée à l'âge (DMLA), rétinite pigmentaire, rétinopathie diabétique, de nombreuses maladies qui affectent la vue sont liées à une détérioration de l'épithélium pigmentaire rétinien (EPR). Cette couche cellulaire située entre les photorécepteurs et la choroïde (mince couche de tissus contenant les vaisseaux alimentant la rétine) occupe diverses fonctions essentielles pour la vision, tenant le rôle de back-office pour assurer le bien-être des cônes et des bâtonnets. Des études au microscope in vitro menées par plusieurs groupes de recherche ont permis d'identifier les caractéristiques de ces cellules et les changements morphologiques qui surviennent avec le vieillissement, ainsi que ceux spécifiquement liés à l'apparition et à la progression des maladies de la rétine, comme la DMLA et la rétinite pigmentaire. Mais à ce jour, aucun outil d'imagerie simple et fiable ne permet d’observer cette couche d’EPR sur un patient, que ce soit pour le diagnostic précoce ou pour le suivi des patients atteints de maladies de la rétine.
Le secret est dans les faisceaux obliques
Diverses tentatives de mise au point d’appareil d’imagerie permettant un diagnostic clinique de l’épithélium pigmentaire ont échoué, en raison d’une résolution insuffisante, d’un risque pour la sécurité du patient ou d’un temps d’exposition beaucoup trop important. Les chercheurs de l’EPFL ont mis au point une caméra rétinienne combinant un éclairage par deux faisceaux obliques, dirigés vers la partie blanche de l’œil, combinés avec un système d’optique adaptative, qui permet de corriger les distorsions des ondes lumineuses pour obtenir une image nette. Cette technologie, baptisée Transscleral Optical Imaging, se sert de faisceaux infrarouges -comme le font déjà les appareils pour observer la rétine-, mais « l'illumination oblique, par la partie blanche de l’œil, permet d'éviter l'importante lumière causée par la réflectivité élevée des photorécepteurs à cônes qui se trouvent au centre de l’œil lorsqu’on éclaire la rétine à travers la pupille », explique Christophe Moser, directeur du Laboratoire de dispositifs photoniques appliqués. Les ondes lumineuses qui ressortent par la pupille sont ensuite recueillies par la caméra. Un petit moment Eureka pour l’équipe de chercheurs lorsqu’ils ont obtenu la première image nette puisque personne avant eux n’avait pu observer cette partie du corps humain avec une caméra adaptée à l’environnement clinique.
Des cellules de l'épithélium pigmentaire rétinien observées avec Cellularis © 2022 LAPD
Première étude clinique sur une trentaine de personnes
Avec l’aide de la spin-off EarlySight, issue du même laboratoire de la Faculté STI, un prototype à usage clinique a été conçu. Un temps d'acquisition inférieur à 5 secondes, une rapidité indispensable en vue d’un usage diagnostique lui suffit à enregistrer 100 images brutes. Ces dernières passent ensuite par des algorithmes pour être alignées et moyennées afin de montrer à l’écran une seule image de bonne qualité. Sur l’interface, l’utilisateur peut voir cinq boutons correspondant aux zones prédéfinies qui lui permettent de sélectionner l'image dont il a besoin. Il peut également cliquer n'importe où sur le schéma représentant le fond d'œil pour choisir librement une zone à imager.
Ce prototype, baptisé Cellularis, a été développé au cours du projet Européen EIT Health ASSESS, en collaboration avec l’équipe de recherche de l’INSERM (institut national de la santé et de la recherche médicale français) de Francine Behar-Cohen à Paris, et le centre d’investigations cliniques de l’hôpital ophtalmique Jules Gonin à Lausanne. La caméra y a été évaluée dans le cadre d'une étude clinique dirigée par Irmela Mantel, médecin adjointe à l’Unité de la rétine de l’Hôpital Jules-Gonin afin de tester sa capacité à visualiser les cellules de l'EPR dans les yeux de 29 volontaires sains. Des images suffisamment précises ont été obtenues à chaque fois, permettant de quantifier avec précision les caractéristiques morphologiques des cellules de l'EPR des participants et d’établir une base de données fournissant des informations cruciales pour la recherche médicale. « La morphologie de ces cellules vitales de la rétine est un indicateur clé de leur santé. La détection précise des cellules de l’EPR et leur analyse morphologique sont essentielles pour le diagnostic précoce des maladies dégénératives de la rétine, mais également pour le suivi de nouveaux traitements », souligne Laura Kowalczuk, médecin à l’hôpital Jules Gonin, collaboratrice scientifique à l’EPFL et première auteure de l’article.
Le prototype de l'appareil pour détecter des maladies ophtalmiques dégénératives © 2022 LAPD