Le patrimoine génétique de 100'000 espèces africaines va être décrypté
Jusqu’à présent, les espèces africaines sont totalement sous-représentées dans les projets de décryptage du patrimoine génétique. Le projet African BioGenome souhaite de ce fait séquencer durant les 10 prochaines années le génome de 105’000 plantes, animaux, champignons et protistes (organismes unicellulaires, algues et champignons inférieurs) endémiques, c’est-à-dire uniquement indigènes en Afrique. Cela se fera,contrairement à maintenant,surtout par des scientifiques africains. Plus de 100 d’entre eux travaillent à ce projet. L'une des scientifiques est Pooja Singh, originaire du Botswana. Elle travaille actuellement en postdoc au département écologie et évolution des poissons de l’Eawag.
Pourquoi a-t-on besoin de connaître les génomes des espèces africaines?
Le nombre d’espèces indigènes en Afrique est époustouflant et beaucoup d’entre elles sont endémiques. La plupart des projets de séquençage de génomes ont été jusqu’à présent dirigés par des groupes de chercheurs européens, américains ou australiens. Ils se sont donc concentrés sur des espèces importantes de leur point de vue. Pour séquencer les espèces qui sont importantes pour nous – écologiquement, économiquement et culturellement – nous devons prendre nous-mêmes les choses en main.
Pouvez-vous nous donner un exemple d’espèce importante du point du vue africain?
La chenille Gonimbrasia belina, appelée aussi ver mopane. Cette chenille d’une espèce de papillon est une importante source de protéines en Afrique du Sud, car elle est facile à récolter et à manger. Cela est surtout important pour les gens qui ont des difficultés économiques. Mais le ver mopane est très impacté par le changement climatique. Lorsque je me rends aujourd’hui au Botswana, je constate à quel point le nombre de vers a diminué par rapport aux années 1990 lorsque j’étais enfant. Si nous connaissons le génome de cette espèce, nous pouvons essayer de la préserver en tant qu’importante source alimentaire ou commencer à en faire l’élevage.
Le projet African BioGenome veut donc d’une part fournir les bases génétiques pour préserver l'immense diversité des espèces africaines. Un autre objectif important est que ce savoir soit généré en Afrique même. Pourquoi, jusqu’à présent, si peu de projets de séquençage ont-ils été menés par des africains?
C’est tout d’abord un problème économique car le séquençage reste très cher. De nombreux gouvernements ou universités en Afrique ne disposent pas de cet argent. Les gouvernements consacrent une majeure partie de leurs ressources pour couvrir les besoins élémentaires des populations. D’autre part, les universités ne disposent souvent pas de l’expertise ni de l’équipement nécessaires, comme notamment de grands serveurs informatiques, pour l’analyse de telles données.
Par exemple, pour apprendre la génomique et le séquençage de génome, j’ai dû aller en Afrique du Sud car c’était impossible au Botswana. Mais là où il y a de l’argent, il est généralement utilisé pour le séquençage de génomes à des fins médicales, donc pour la recherche sur les maladies – pas pour la sécurité alimentaire ou la préservation de la biodiversité.
Le projet African BioGenome souhaite améliorer cette situation.
Oui, l'objectif est que des Africains et des Africaines séquencent des espèces africaines, donc l’Afrique pour l’Afrique. C’est très important pour que notre diversité biologique reste notre propriété intellectuelle et que nous puissions prendre nous-mêmes en main l’avenir de cette diversité.
Ce n’était pas le cas jusqu’à présent. Étant donné que de nombreux projets de séquençage étaient dirigés hors du continent, les Africaines et les Africains n’en tiraient aucun profit – le savoir généré ne leur est pas revenu, ils n’ont bénéficié d’aucune reconnaissance scientifique et n’ont pas profité des brevets sur les substances d’espèces africaines.
Oui, c’est très frustrant de lire tous ces articles scientifiques sur des espèces africaines où pas un seul co-auteur n’est Africain. Lorsque je collecte par exemple des échantillons de hyènes du Botswana pour un chercheur, que celui-ci séquence l’ADN et publie un bel article dans lequel je ne suis pas citée comme co-autrice, c’est vraiment de la science coloniale.
Mais si les Africaines et les Africains sont plus nombreux à diriger des projets de séquençage grâce au projet African BioGenome, sans dépendre des chercheurs du nord de la planète, nous en récolterons bien sûr les avantages et serons autonomes.
Vous participez au projet African BioGenome avec Ole Seehausen, chef du département écologie et évolution des poissons de l’Eawag. Quel est votre rôle?
Ole Seehausen était d’abord impliqué dans le projet. Il était co-auteur de l’African BioGenome Whitepaper. La nécessité d’un projet centré sur l’Afrique pour l’établissement de génomes de référence d’espèces africaines et le concept de mise en œuvre y ont été élaborés. Comme il a fait beaucoup de recherches sur les poissons africains, il donne par exemple des recommandations sur les espèces pour qui le séquençage serait important.
Plus tard, il m’a demandé, ainsi qu’à sa doctorante Nare Ngoepe d’Afrique du Sud et à sa post-doctorante Anna Mahulu de Tanzanie, de participer au projet car nous sommes toutes les trois Africaines.
Je fais partie du sous-comité pour l’échantillonnage et l’assemblage du génome. C’est-à-dire que je donne des recommandations sur les espèces importantes pour le séquençage et sur les stratégies les mieux adaptées pour le séquençage et l’assemblage du génome, afin d’obtenir une couverture maximale du génome au meilleur prix.
C’est un immense groupe de gens qui collaborent au sein de cet impressionnant projet auquel nous essayons tous d’apporter notre modeste contribution.
Et quelles sont les prochaines étapes de ce projet?
Le plus grand obstacle pour pouvoir former et embaucher des gens pour le séquençage de plus de 100'000 espèces et pouvoir mettre en place l'infrastructure, c’est le financement. La première étape consistait à communiquer la vision et les objectifs du projet – cela a été fait avec la publication de la prise de position dans le magazine Nature.
Dans cet article, les coûts du projet sont estimés à 100 millions de dollars US par an sur les dix prochaines années.
Oui, c’est pourquoi les prochaines étapes consistent à montrer aux gouvernement et aux organismes de financement l’importance des informations sur les génomes et à les convaincre de soutenir financièrement le projet. D’autre part, on dresse actuellement des listes d’espèces importantes à traiter lors de la première vague de séquençage.
Quelle importance a ce projet pour vous en tant qu’Africaine?
Une importance énorme. C’est très étonnant d’assister à un meeting où sont présents autant d’Africains. Car pour la plupart des projets sur le génome, les personnes originaires du nord de la planète dominent.
Mais c’est aussi agréable que nos membres soient tous si différents. Ils viennent de toute l’Afrique et chacun veut inscrire plusieurs espèces, notamment parce qu’elles sont importantes pour une raison culturelle ou économique. Je n’avais jamais vécu cela dans aucun autre projet.
Lorsque j’ai commencé la recherche génétique à l’université du Cap et entendu parlé de grands projets de séquençage, il s’agissait toujours d'universités en Europe ou en Amérique du Nord. Voir à présent que cela pourrait avoir lieu chez nous et que l’université du Botswana séquencera quelques génomes, donne un sentiment de puissance. Si je peux y apporter ma contribution, j’en serais extrêmement heureuse.
Retourneriez-vous en Afrique pour cela?
J’ai quitté l’Afrique parce que je n’aurais pas pu faire là-bas ce que je fais aujourd'hui. Mon objectif est de trouver un poste de professeure en Suisse ou en Europe centrale et de déterminer dans cette position comment promouvoir au mieux les scientifiques africains dans le domaine de la génomique pour la protection de la nature. L’un des mes objectifs à long terme est de former les étudiantes et les étudiants du Botswana en génomique et en recherche génétique pour la protection de la diversité biologique.