Interprétation des traces d'arsenic dans la pluie

Au Pic du Midi, dans les Pyrénées, des scientifiques de l'ETH Zurich ont analysé les particules, les nuages et l'eau de pluie à la recherche de traces d'arsenic. En utilisant des méthodes de mesure nouvellement développées, elles et ils ont élucidé les voies de transport de cette toxine environnementale dans l'atmosphère.
À l'observatoire du Pic du Midi, il pleut de tous les côtés - idéal pour explorer les voies de passage de l'arsenic dans l'atmosphère. À gauche : dispositif de collecte d'échantillons d'aérosols à basse température. (Image: Esther Breuninger / ETH Zurich)

En bref

  • Des chercheurs et chercheuses de l'ETH Zurich ont optimisé les méthodes de détection de l'arsenic, un oligo-élément, et ont trouvé de minuscules quantités de cet élément toxique dans les aérosols, les nuages et l'eau de pluie au Pic du Midi, dans les Pyrénées.
  • Elles et ils ont pu identifier des schémas de transport et décrire comment l'arsenic est transporté depuis l'Atlantique, l'Espagne, la France, la Méditerranée et l'Afrique.
  • Les nouveaux résultats montrent que les processus biologiques sont plus importants dans le cycle de l'arsenic qu'on ne le pensait jusqu'à présent. Ces processus doivent être davantage pris en compte dans les modèles afin de mieux estimer la distribution mondiale de cette toxine environnementale.

L'arsenic est un oligo-élément qui se situe juste en dessous du phosphore, essentiel à tous les organismes vivants, dans le tableau périodique. Cette étroite relation chimique fait que les cellules ne sont pas toujours en mesure de distinguer les deux éléments. «La toxicité de l'arsenic repose sur ce risque de confusion», explique Lenny Winkel, professeure à l'Institut de biogéochimie et de dynamique des polluants de l'ETH Zurich et à l'Institut de recherche aquatique Eawag.

Prélèvement d'échantillons à 2877 mètres d'altitude

Depuis de nombreuses années, Lenny Winkel et son équipe s'intéressent à cette toxine environnementale, dont on estime qu'environ 31 tonnes gravitent autour de la terre dans l'atmosphère. Afin d'en savoir plus sur le comportement et la répartition de l'arsenic dans l'air, les scientifiques ont mené une vaste campagne de mesures à la station de recherche du Pic du Midi, dans les Pyrénées. La station est située à 2877 mètres au-dessus du niveau de la mer et permet donc des mesures qui ne sont pas affectées par les sources locales de pollution.

Au Pic du Midi, les chercheuses et chercheurs ont notamment découvert que les nuages contiennent en moyenne beaucoup plus d'arsenic que l'eau de pluie. Mais que ceux et celles qui craignent d'être empoisonnées par la prochaine averse se rassurent : «L'arsenic est très dilué dans l'atmosphère», explique Lenny Winkel. En fait, les scientifiques ont dû optimiser leur méthode de mesure pour pouvoir détecter l'arsenic. «La limite de mesure est désormais de 1 à 2 nanogrammes par litre, ce qui est jusqu'à vingt fois inférieur à la limite de mesure des méthodes précédentes», indiquent les scientifiques dans le document technique qui vient d'être publié.

Modes de transport caractéristiques

Un modèle sophistiqué des mouvements des masses d'air et des analyses chimiques des nuages et de l'eau de pluie ont permis aux scientifiques d'identifier différents schémas de transport caractéristiques. Ils et elles ont ainsi pu déterminer, pour chaque échantillon, l'origine de l'arsenic. Si un échantillon contenait beaucoup de sodium, par exemple, les chercheuses et chercheurs ont conclu que l'arsenic avait dû se mélanger au sel remué dans la mer (c'est-à-dire au chlorure de sodium) sur son chemin vers les Pyrénées.

«Grâce à leur métabolisme, les organismes vivants contribuent davantage au cycle global de l'arsenic qu'on ne le pensait jusqu'à présent.»      Lenny Winkel

Cependant, l'équipe de Lenny Winkel a étudié le carbone organique dissous dans d'autres échantillons. «Il peut provenir de sources naturelles telles que les plantes et le pollen. Mais il peut aussi être dû à la pollution environnementale induite par l'homme, par les transports ou l'industrie», explique Esther Breuninger, première autrice de l'article scientifique, avant d'ajouter : «Dans tous les cas, le carbone organique dissous indique que l'arsenic a dû traverser des masses terrestres avant de se retrouver dans notre échantillon.»

Des processus biologiques plus importants que prévu

Lenny Winkel et son équipe ont détecté plusieurs types d'arsenic dans les échantillons d'eau de pluie. Outre l'arsenic inorganique attendu, elles et ils ont également trouvé des composés d'arsenic dits méthylés. Ces composés se forment lorsque des bactéries, des algues, des plantes ou des champignons absorbent de l'arsenic inorganique et excrètent ensuite le poison sous une forme transformée, se protégeant ainsi potentiellement. Les analyses montrent que l'arsenic est transformé à la fois dans la mer et sur terre.

«Jusqu'à présent, on supposait que les activités humaines, telles que la combustion du charbon ou la fonte des minerais, étaient principalement responsables de l'arsenic atmosphérique», explique Lenny Winkel. Cependant, dans certains échantillons de nuages, les composés méthylés constituaient la majorité de l'arsenic détecté. «Ces résultats montrent que les processus biologiques jouent un rôle plus important que ce que l'on pensait jusqu'à présent», déclare la professeure.

L'influence des processus biologiques sur le cycle global de l'arsenic doit maintenant être davantage prise en compte dans les modèles. «Apparemment, les organismes vivants contribuent à la mobilisation de la pollution historique par l'arsenic et à sa distribution mondiale par le biais de leur métabolisme», résume Lenny Winkel.

Plus d'informations

Breuninger ES, Tolu J, Aemisegger F, Turnherr I, Bouchet S, Mestrot A, Ossola R, McNeill K, Tukhmetova D, Vogl J, Meermann B, Sonke JE, Winkel LHE. Marine and terrestrial contributions to atmospheric deposition fluxes of methylated arsenic species. Nature Communications 2024. 15: 9623, doi: 10.1038/s41467-024-53974-zcal