Un virus qui tue les dormeurs

Des chercheurs et chercheuses de l'ETH Zurich ont découvert un virus qui tue les bactéries dormantes. Cette découverte rare pourrait aider à combattre les germes qui ne peuvent être traités par les seuls antibiotiques.
Le phage paride (violet) est l'un des rares phages à s'attaquer aux bactéries dormantes. (Graphique : Fabienne Estermann & Enea Maffei / ETH Zurich)

En bref

  • Pour la première fois, des scientifiques de l'ETH Zurich ont isolé un bactériophage dans du matériel végétal en décomposition, capable d'attaquer et de tuer des bactéries à l'état dormant.
  • La manière dont le phage y parvient n'est pas encore claire.
  • La thérapie combinée de ce phage et d'un antibiotique permet d'éradiquer de nombreux germes dormants en culture pure et dans le modèle de souris.

Dans la nature, la plupart des bactéries vivent avec le strict minimum. En cas de carence en nutriments ou de stress, elles arrêtent leur métabolisme de manière contrôlée et entrent dans un état de repos. Dans ce mode d'attente, certains processus métaboliques ont encore lieu pour permettre aux microbes de percevoir leur environnement et de réagir aux stimuli, mais la croissance et la division sont suspendues.

Les bactéries sont ainsi protégées contre les antibiotiques ou les virus qui s'attaquent exclusivement aux bactéries. Ces virus infectant les bactéries, appelés phages, sont considérés comme une alternative possible aux antibiotiques qui ne sont plus (suffisamment) efficaces en raison de la résistance aux médicaments. Jusqu'à présent, les experts s'accordaient à dire que les phages ne réussissaient à infecter les bactéries que lorsque celles-ci étaient en croissance.

Des chercheuses et chercheurs de l'ETH Zurich se sont demandé si l'évolution n'avait pas produit des bactériophages spécialisés dans les bactéries dormantes et pouvant être utilisés pour les cibler. Ils et elles ont commencé leurs recherches en 2018. Aujourd'hui, dans une nouvelle publication parue dans la revue Nature Communications, elles et ils montrent que de tels phages, bien que rares, existent bel et bien.

Un coup de chance dans un tas de compost

Lorsqu'Alexander Harms, professeur à l'ETH Zurich, et son équipe du Biozentrum de l'Université de Bâle ont commencé leur projet en 2018, ils pensaient pouvoir isoler au cours de la première année une vingtaine de phages différents qui s'attaquent aux bactéries dormantes. Mais ce ne fut pas le cas : ce n'est qu'en 2019 qu'Enea Maffei, la doctorante d'Alexander Harms, a isolé un nouveau virus inconnu jusqu'alors. Trouvé dans du matériel végétal en décomposition provenant d'un cimetière près de Riehen, dans le canton de Bâle-Ville, ce virus est capable d'infecter et de détruire les bactéries dormantes. «C'est le premier phage décrit dans la littérature qui s'attaque à des bactéries à l'état dormant», explique Enea Maffei. Alexander Harms ajoute : «Vu le nombre considérable de bactériophages, j'ai toujours été convaincu que l'évolution avait dû en produire certains capables de s'attaquer à des bactéries dormantes.» Les scientifiques ont baptisé leur nouveau phage Paride.

Actif contre les bactéries les plus répandues

Le virus découvert infecte Pseudomonas aeruginosa, une bactérie que l'on trouve couramment dans de nombreux environnements. Diverses souches colonisent les plans d'eau, les plantes, le sol - et les êtres humains. Dans le corps humain, certaines souches peuvent provoquer des maladies respiratoires graves, telles que la pneumonie, qui peuvent être mortelles.

La manière dont le nouveau phage prend par surprise les germes dormants de P. aeruginosa n'est pas encore claire pour les chercheurs et chercheuses. Ils et elles pensent que le virus utilise une clé moléculaire spécifique pour réveiller la bactérie, puis détourne le mécanisme de multiplication de la cellule pour sa propre reproduction. Cependant, les scientifiques de l'ETH Zurich n'ont pas encore été en mesure de clarifier exactement comment cela fonctionne.

Ils et elles cherchent donc à élucider les gènes ou les molécules qui sous-tendent ce mécanisme de réveil. Sur cette base, elles et ils pourraient développer dans une éprouvette des substances qui prennent en charge le processus de réveil. Une telle substance pourrait alors être combinée à un antibiotique approprié qui éliminerait complètement la bactérie. «Mais nous n'en sommes qu'au début. La seule chose dont nous sommes sûrs, c'est que nous ne savons presque rien», déclare Alexander Harms.

Les premiers tests montrent un effet

Pour tester l'efficacité du phage Paride, les chercheuses et chercheurs l'ont associé à un antibiotique appelé méropénem. Cet antibiotique perturbe la synthèse de la paroi cellulaire et n'interfère donc qu'avec les processus cellulaires qui n'endommagent pas les phages. L'antibiotique n'a aucun effet sur les bactéries dormantes, car celles-ci ne synthétisent pas de nouvelle paroi cellulaire.

Testé dans des boîtes de culture cellulaire, le virus a été capable de tuer 99% de toutes les bactéries dormantes, mais en a laissé 1% en vie. Seule la combinaison des phages Paride et du méropénem a permis d'éradiquer complètement la culture bactérienne, même si le méropénem n'a pas eu d'effet détectable en soi.

Dans une autre expérience menée avec Nina Khanna, médecin à l'Hôpital universitaire de Bâle, Enea Maffei a testé cette combinaison sur des souris souffrant d'une infection chronique. Ni le phage ni l'antibiotique seuls n'ont eu d'effet particulier sur les souris, mais l'interaction entre les phages et les antibiotiques s'est avérée très efficace dans les organismes vivants également. «Cela montre que notre découverte n'est pas un simple artefact de laboratoire, mais qu'elle pourrait avoir une importance clinique», explique Enea Maffei.

Une lueur d'espoir - mais jamais plus ?

Depuis de nombreuses années, les expertes et experts discutent intensivement de la thérapie par les phages. Les chercheurs et chercheuses et les médecins espèrent pouvoir un jour utiliser les phages pour remplacer les antibiotiques devenus inefficaces. Cependant, il n'y a pas encore d'application à grande échelle, car aucune étude approfondie n'a été réalisée. «Ce dont nous disposons pour l'instant, ce sont surtout des études de cas individuelles», explique Alexander Harms.

Des études menées par des chercheuses et chercheurs de l'Hôpital militaire Reine Astrid de Bruxelles ont montré que le traitement améliorait l'état de trois quarts des patients et patientes et qu'il permettait d'éliminer la bactérie chez 61% d'entre elles et eux. Toutefois, cela signifie également que chez quatre patients ou patientes sur dix, les germes n'ont pas pu être éliminés par la thérapie par les phages, bien que les bactéries en question aient été sensibles aux phages en laboratoire. «Cela peut s'expliquer par le fait que de nombreuses bactéries présentes dans l'organisme sont en état de dormance, en particulier dans le cas d'infections chroniques, et que les phages ne peuvent donc pas les pénétrer», explique Alexander Harms. Les bactéries dormantes pourraient également jouer un rôle important dans les infections par des souches non résistantes.

«Dans le cas des infections, cela signifie qu'il serait important de connaître l'état physiologique de la bactérie en question. Les bons phages, combinés à des antibiotiques, pourraient alors être utilisés de manière ciblée. Cependant, il faut savoir exactement comment un phage attaque une bactérie avant de pouvoir sélectionner les bons phages pour un traitement particulier. Ce n'est pas encore le cas, car nous en savons encore trop peu sur les phages», explique Alexander Harms.

C'est pourquoi, dans les années à venir, les scientifiques étudieront précisément comment le nouveau phage sort les bactéries de leur sommeil profond, les infecte et les rend sensibles aux antibiotiques. Ce travail est financé par une Starting Grant du FNS à Alexander Harms et par le PRN AntiResist.

Plus d'informations

Maffei E, Woischnig AK, Burkolter MR et al. Phage Paride can kill dormant, antibiotic-tolerant cells of Pseudomonas aeruginosa by direct lytic replication. Nat Commun 15, 175 (2024). doi: 10.1038/s41467-023-44157-3