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Accélérer la recherche sur les matériaux grâce à des robots

Aura-t-on encore besoin d’humains pour mener des recherches si l’automatisation entre dans les laboratoires? Corsin Battaglia et Johann Michler, respectivement chercheur en batteries et scientifique des matériaux à l’Empa, en sont tous deux convaincus: il s’agira d’une collaboration et non d’une compétition.
Le chercheur en batteries Corsin Battaglia et le scientifique des matériaux Johann Michler au « Labor Materials for Energy Conversion ». (Photo : Kellenberger Photography)

En 2008, Chris Anderson proclamait The end of theory dans le magazine Wired et ajoutait en soustitre de son article que «l’avalanche de données à venir» rendrait la méthode scientifique obsolète. On comprend tout de suite que cette prophétie ne s’est pas réalisée lorsque le chercheur en batteries Corsin  Battaglia, professeur à l’ETH Zurich et à l’EPFL, présente son laboratoire Materials for Energy Conversion dans le nouveau bâtiment cooperate, sur le campus de recherche de l’Empa-Eawag à Dübendorf: la bonne vieille science est toujours pra tiquée. Mais de toute évidence, le big data et l’intelligence artificielle (IA) vont changer la pratique de la recherche.

AURORA accélère l'innovation dans le domaine des batteries

Dans les vastes locaux du laboratoire Materials for Energy Conversion, on croise encore des humains. Mais l’une des pièces est investie par un robot: AURORA. Il ne ressemble cependant pas tout à fait à un robot, mais plutôt à un équipement de laboratoire complexe: une boîte transparente occupant la moitié de la pièce et contenant beaucoup d’éléments mécaniques; les gants de manipulation ne sauraient manquer. Le robot travaille de manière très fiable aujourd’hui, mais au début, il avait besoin de beaucoup d’attention, confie C. Battaglia. Lorsqu’il travaille sans problème, il examine patiemment différentes constellations de matériaux, les assemble en batteries de test et enregistre les fonctions de base des cellules. Il ne fait rien d’autre que C.  Battaglia et son équipe n’auraient fait, il est juste beaucoup plus rapide. Il permet d’accélérer par dix les séries de tests de sélection des matériaux, d’assemblage et d’analyse. Cela représente des avantages décisifs au moment où le monde entier se lance à la recherche de nouveaux matériaux pour batteries qui soient économiques, facilement disponibles et qui ne présentent pas d’inconvénients techniques.

«A partir de dix éléments chimiques différents, vous obtenez plus d’un trillion de combinaisons possibles pour développer de nouveaux matériaux.»      Johann Michler, directeur du laboratoire Mechanics of Materials and Nanostructures à l’Empa

L’exemple de la recherche sur les batteries illustre un dilemme fondamental de la science des matériaux. «A partir de dix éléments chimiques différents, vous obtenez plus d’un trillion de combinaisons possibles pour développer de nouveaux matériaux», explique le scientifique des matériaux Johann Michler, directeur du laboratoire Mechanics of Materials and Nanostructures à l’Empa et professeur à l’EPFL. Et comme si cela n’était pas déjà assez complexe, il évoque également l’exemple de l’acier: celui-ci est certes «seulement» composé de fer et de carbone, mais il en existe une multitude de variantes aux propriétés différentes, «selon la manière dont l’acier est traité thermiquement». Il n’est donc pas forcément difficile de trouver de nouveaux matériaux: le véritable enjeu réside dans la sélection de matériaux vraiment intéressants parmi la multitude de matériaux possibles.

Révolutionner la science des matériaux grâce à l'analyse rapide

J. Michler est convaincu que la science des matériaux doit également se concentrer sur l’analyse: «Nous devons accélérer l’étude expérimentale des propriétés des matériaux, c’est à dire le screening.» Il développe donc des instruments d’analyse à haut débit qui permettent d’examiner très rapidement la structure interne et les propriétés intéressantes dans la pratique d’un grand nombre de nouveaux matériaux. «Nous ne mesurons pas avec la plus grande précision, mais beaucoup plus rapidement.» Il suffit ensuite d’approfondir l’examen lorsque l’on a identifié les candidats intéressants. L’activité de J. Michler se penche au fond sur des questions et des propriétés très simples: quelle est la couleur d’un matériau et pourquoi? Et, mis à part le fait qu’il puisse s’agir d’une belle couleur, possède-t-il d’autres propriétés intéressantes telles que la résistance aux rayures? Si oui, il se pourrait alors que l’industrie horlogère soit intéressée.

Passer lentement des essais et erreurs à la recherche basée sur l'IA

Et si l’on pouvait prédire tout cela? L’IA peut-elle acquérir une telle «compréhension de base» de la physique des solides au point de proposer des combinaisons de matériaux appropriées? Et ne sera-t-on plus obligé, dès lors, de procéder plus ou moins «à l’aveugle» à des séries de tests lorsqu’il s’agit de trouver l’aiguille dans la botte de foin des matériaux? Les deux experts restent plutôt prudents à ce sujet. Selon C. Battaglia, l’évolution va en tout cas dans le sens d’une physics informed AI, mais les modèles sont limités. Même les prédictions a priori simple, telles que la tension produite par une cellule de batterie spécifique, s’avère souvent être un casse-tête. Malgré tout, le robot de batterie AURORA va apprendre à travailler de manière de plus en plus autonome. Les chercheuses et chercheurs espèrent qu’il reconnaîtra des modèles et pourra ainsi identifier les matériaux et composants les plus intéressants en fonction de l’application souhaitée de la batterie.

«L’intuition de la chercheuse et du chercheur en matériaux vient du fait qu’il travaille avec les matériaux, c’est à dire qu’il a effectué lui-même un jour toutes les étapes du processus et toutes les analyses.»      Johann Michler, directeur du laboratoire Mechanics of Materials and Nanostructures à l’Empa

C. Anderson aurait-il donc raison sur le long terme?C. Battaglia pense que le travail des équipes de recherche ne se limitera pas de sitôt à la manipulation de données et à la programmation, seul devant son écran. Il est convaincu qu’il est toujours bon d’avoir «un peu d’expérience pratique». Et J. Michler d’ajouter: «L’intuition de la chercheuse et du chercheur en matériaux vient du fait qu’il travaille avec les matériaux, c’est à dire qu’il a effectué lui-même un jour toutes les étapes du processus et toutes les analyses.»