Le Laboratoire Chaud a 60 ans

Le Laboratoire Chaud du PSI est une installation d’essai unique en son genre, destinée à l’analyse de matériaux radioactifs. Ses 60 ans d’existence marquent une étape importante dans l’histoire de l’Institut, mais aussi dans celle de la technologie nucléaire en Suisse. 
Les cellules chaudes du Laboratoire Chaud du PSI permettent de réaliser des analyses uniques en Suisse sur des matériaux hautement radioactifs. © Institut Paul Scherrer PSI/Markus Fischer

Les méthodes les plus modernes d’analyse permettent de scruter les matériaux en profondeur et d’identifier les défauts ou les irrégularités qu’ils présentent, et ce, sans les détruire dans certains cas. Mais que se passe-t-il lorsque l’objet à analyser n’est pas composé d’un matériau ordinaire et qu’il s’agit d’une barre de combustible hautement radioactive issue d’un réacteur? Dans de telles conditions, une table de laboratoire conventionnelle ne suffit plus et l’analyse requiert un environnement strictement protégé, appelé laboratoire chaud. Les matériaux radioactifs sont manipulés à l’aide de bras préhenseurs robotisés dans des zones de sécurité spéciales, appelées cellules chaudes, et leurs propriétés sont analysées à l’abri de 1,5 mètre de béton et d’une vitre en verre plombé de 90 centimètres d’épaisseur.

C’est également le cas au Laboratoire Chaud du PSI, où l’on mène depuis 60 ans des analyses complexes de matériaux hautement radioactifs. Ces analyses permettent de comprendre comment les matériaux réagissent aux conditions extrêmes qui règnent dans un réacteur, les modifications qu’ils subissent et à quel moment leur durée de fonctionnement s’achève. Le laboratoire contribue ainsi à la recherche fondamentale, mais également, de manière essentielle, à l’entretien et donc à la sécurité des installations nucléaires suisses depuis leurs tout débuts.

Petite histoire de la technologie nucléaire en Suisse 

Les origines du Laboratoire Chaud remontent à 1955. La première conférence sur l’énergie atomique, placée sous la houlette des Nations Unies, s’est tenue à Genève. Son objectif était de mettre en place des initiatives pour un usage futur pacifique de l’énergie nucléaire, qui avait démontré ses effets dévastateurs pendant la guerre. Plus de 1 000 scientifiques ont échangé au cours de cette conférence de deux semaines. La Suisse a ainsi développé un intérêt croissant pour cette nouvelle source d’énergie.

La société Reaktor AG, fondée en mars 1955 à Würenlingen, s'est chargée de concrétiser cet intérêt. Cette société privée a ensuite été reprise par la Confédération et rebaptisée Institut fédéral de recherche en matière de réacteurs (EIR), qui a fini par fusionner en 1988 avec l’Institut suisse de recherche nucléaire pour devenir l’actuel Institut Paul Scherrer PSI. 

Dès 1957, Reaktor AG avait déjà commencé à planifier le Laboratoire Chaud, finalement inauguré en 1963. Le 2 novembre 1964, date officielle d’anniversaire, l’EIR déposait une demande d’autorisation d’exploitation auprès du Département fédéral des transports et de l’énergie.

Avec les deux réacteurs d’essai Saphir et Diorit, également construits sur le site actuel du PSI, le Laboratoire Chaud a joué un rôle clé dans le développement des centrales nucléaires suisses. Il a mis à disposition des scientifiques l’infrastructure nécessaire pour analyser des échantillons radioactifs provenant des réacteurs expérimentaux et poursuivre leur développement, une fonction qu’il assume encore aujourd’hui.

A l’origine, on fabriquait également des isotopes dans le Laboratoire Chaud: ces substance radioactives sont utilisées en recherche fondamentale et en radiopharmacie dans la lutte contre les tumeurs. Cependant, dès les années 1970, ce domaine a été séparé du Laboratoire Chaud et constitue aujourd’hui un domaine de recherche à part entière au PSI. La recherche au Laboratoire Chaud se distingue également dans les domaines de l’élimination sûre et du stockage définitif des déchets radioactifs. Les déchets radioactifs produits lors des analyses y sont également traités, stockés et éliminés.

Une infrastructure unique en son genre 

Le Laboratoire Chaud se trouve dans une zone entièrement blindée, accessible uniquement par des sas de sécurité. Des murs en béton et en plomb de plusieurs mètres d’épaisseur protègent le personnel du danger des radiations. «S’il n’y a pas de matériau radioactif dans le laboratoire, nous nous retrouvons dans une situation un peu paradoxale: nos appareils de mesure détectent moins de radiations qu’à l’extérieur, où nous sommes exposés au rayonnement ambiant naturel, explique Marco Streit, responsable du département Laboratoire Chaud au PSI. Tel est le degré d’efficacité qu’offre la protection de nos murs.» 

Mais les murs extérieurs ne sont en réalité qu’une protection secondaire, censée empêcher la fuite de matériau radioactif en cas d’accident. Les travaux effectifs avec les barres de combustible hautement radioactives se déroulent   dans ce qu’on appelle les cellules chaudes, à l’abri de parois en béton de 1,5 mètre d’épaisseur. C’est là que les barres de combustible sont livrées par un système de sas. Certaines de ces barres peuvent mesurer jusqu’à 4 mètres. Une fois dans les cellules chaudes, elles subissent des examens préliminaires avant d’être broyées et transférées pour des analyses ultérieures dans de plus petites cellules blindées au plomb.

Ce travail se fait pour ainsi dire à la main. «Mais seulement de manière indirecte, précise Marco Streit. Le travail avec des matériaux aussi radioactifs ne peut se faire que par des bras préhenseurs contrôlés par nos opérateurs depuis l’extérieur de la cellule.» Ce faisant, les collaborateurs doivent parfois manipuler des morceaux de quelques millimètres seulement,  tout en veillant à ne rien laisser tomber. «Notre personnel doit faire preuve d’énormément de doigté, mais sans se servir directement de ses doigts», résume Marco Streit.

Une petite fenêtre, constituée d’une combinaison de vitres en verre plombé de trois fois 30 centimètres d’épaisseur, permet de voir à l’intérieur de la cellule. La lumière verdâtre caractéristique qui y règne n’est pas due au rayonnement radioactif, mais à la source d’éclairage et à l’aspect des vitres. «Ce serait impossible d’utiliser des néons ou des lampes LED dans cette cellule, explique Marco Streit. Les radiations sont telles qu’elles les détruiraient en très peu de temps.  C’est pourquoi nous utilisons des lampes à vapeur de mercure, sans composants en plastique et sans électronique complexe, qui sont capables de résister au rayonnement. Cette lumière nous paraît verte à cause de l’épaisseur du verre plombé.» 

Défier les radiations 

Hormis la source d’éclairage, tout ce qui est introduit dans la cellule chaude doit être résistant aux radiations. «Pour broyer les barres de combustible, nous utilisons, par exemple, une scie circulaire que nous avons construite nous-mêmes, relève Marco Streit. Les modèles actuellement disponibles dans le commerce sont beaucoup trop fragiles et seraient hors d’usage après seulement quelques utilisations.» Là aussi, le problème réside dans les nombreux composants en plastique et l’électronique sensible de beaucoup d’appareils modernes. 

Les quantités énormes de radiations sont aussi la principale raison pour laquelle on continue à utiliser des bras préhenseurs pour manipuler «à la main». « Les bras robotisés parfois utilisés dans la chirurgie moderne faciliteraient ces manipulations, et une partie de la communauté des laboratoires chauds en réclame, relève Marco Streit. Mais pour que ces robots restent opérationnels dans des conditions aussi extrêmes, il faudrait que l’ensemble des câbles, des processeurs et des circuits imprimés soient isolés à grands frais contre le rayonnement. Ce serait extrêmement coûteux.» 

La même protection doit être appliquée aux appareils d’analyse avec lesquels les matériaux sont examinés dans les cellules chaudes: «Nous utilisons en principe les mêmes appareils que ceux utilisés pour l’analyse des matériaux conventionnels, poursuit Marco Streit. À la différence près que les nôtres ont été blindés à grands frais, de sorte que les matériaux qu’ils examinent ne les endommagent pas.» 

Marco Streit et son équipe disposent de diverses méthodes pour analyser, sans les détruire, les surfaces des barres de combustible dans les cellules chaudes. Même les méthodes destructives, comme la spectrométrie de masse, qui nécessitent que l’échantillon à analyser soit d’abord broyé pour caractériser sa composition chimique, peuvent être réalisées au Laboratoire Chaud dans des conditions résistantes aux radiations. Depuis 2021, les chercheurs disposent également d’un microscope électronique à balayage blindé, équipé d’un faisceau d’ions focalisé. «Cela nous permet de découper des échantillons de taille micrométrique et nanométrique dans des matériaux hautement radioactifs, explique le responsable du laboratoire. Ces minuscules échantillons n’émettent pratiquement plus de rayonnement. Nous pouvons donc les examiner sans danger avec des procédés d’imagerie ultramodernes à la Source de Lumière Suisse (SLS) ou à la Source suisse de neutrons de spallation (SINQ).» 

L’avenir du Laboratoire Chaud

Avec ses méthodes d’analyse modernes et son infrastructure complexe, le Laboratoire Chaud offre des conditions uniques en Suisse pour analyser de manière sûre et détaillée des matériaux hautement radioactifs. La communauté européenne et mondiale considère qu’il revêt une importance de premier ordre. Pendant ses 60 ans de fonctionnement, le laboratoire a été continuellement modernisé et adapté aux normes de sécurité de plus en plus strictes. 

Le rôle exact que le laboratoire jouera à l’avenir pour la technologie nucléaire en Suisse est encore incertain. Mais pour Marco Streit, il est clair que le Laboratoire Chaud continuera d’apporter sa contribution durant les 30 prochaines années et au-delà: «Tant que les centrales nucléaires seront en service en Suisse, il y aura aussi un Laboratoire Chaud, ne serait-ce que pour des raisons de sécurité, explique le responsable. Plus tard également, lorsqu’il s’agira de démanteler et de stocker définitivement les déchets, une telle infrastructure revêtira une importance capitale, car c’est le seul  endroit où les substances dangereuses peuvent être analysées de manière sûre et précise.»