«L'époque de la coopération à la carte est révolue»

Oliver Thränert a dirigé pendant près de douze ans le groupe de réflexion du Center for Security Studies (CSS) de l'ETH Zurich. À l'occasion de son départ à la retraite, nous nous sommes entretenus avec lui sur les futurs défis de la politique suisse de sécurité et de défense.
La garde d'honneur de l'armée suisse devant le Palais fédéral à Berne. (Image : Keystone)

Vous êtes très impliqué dans la politique de sécurité de la Suisse depuis de nombreuses années. Quelles sont les principales différences avec les autres pays ?
Oliver Thränert : Le Conseil fédéral suisse est un organe collégial. Il n'y a pas de chef de gouvernement unique. Cela présente l'avantage qu'une fois prises, les décisions ont une plus grande légitimité et sont également plus durables, car elles ne peuvent pas être modifiées brusquement par un changement de gouvernement. Dans d'autres démocraties occidentales, comme l'Allemagne, le gouvernement dirigé par le chancelier ou la chancelière fédérale doit davantage s'entendre sur une position. En Suisse, les incitations à ne pas résoudre les conflits entre les conseillères et conseillers fédéraux et leurs départements et à reporter les décisions sont plus importantes.

Le système suisse tend-il à l'inertie ?
Oui. Cette tendance est renforcée par le fait que la Suisse, en tant que pays neutre, ne participe pas à la prise de décision au sein de l'UE ou de l'OTAN. Elle n'a pas à défendre ses propres positions au sein de ces organisations. Si le Conseil fédéral n'est pas d'accord sur une question de politique de sécurité, les décisions ont tendance à être évitées.

Pouvez-vous nous donner un exemple ?
Prenons le traité sur l'interdiction des armes nucléaires, qui vise à interdire les armes nucléaires dans le monde entier. Tous les États membres de l'OTAN et d'autres pays occidentaux, et même le Japon, seul pays à avoir subi une attaque nucléaire, ont décidé de ne pas adhérer au traité parce que son respect ne peut être contrôlé et parce qu'ils considèrent la dissuasion nucléaire comme un élément essentiel de leur sécurité. La sécurité de la Suisse repose également, dans une certaine mesure, sur la dissuasion nucléaire de l'OTAN, et ce serait une raison pour la Suisse de ne pas signer le traité non plus.

Je sais que vous allez dire «mais».
En se référant à la longue tradition humanitaire de la Suisse, après tout, le Comité international de la Croix-Rouge est basé à Genève, on affirme souvent que la Suisse doit signer le traité sur l'interdiction des armes nucléaires. Cela signifie qu'il existe un conflit d'objectifs entre la sécurité du peuple suisse et son engagement humanitaire. Ce conflit n'a pas été résolu depuis des années.

Depuis juin 2022, la Suisse est membre non permanent du Conseil de sécurité des Nations Unies. Il s'agit d'un domaine où il est essentiel de prendre des décisions rapides.
Oui, la Suisse doit toujours prendre position à court terme. Cela exige une collaboration souple entre le Département fédéral de la défense, de la protection de la population et des sports (DDPS), le Département fédéral des affaires étrangères (DFAE) et d'autres départements. A cet égard, l'appartenance au Conseil de sécurité est un bon camp d'entraînement pour l'administration suisse. Je suis agréablement surpris de voir à quel point les choses ont bien fonctionné jusqu'à présent.

«Chaque pays européen, y compris la Suisse, doit se demander quel rôle il veut jouer dans le renforcement de la sécurité européenne. Cette question est inhabituelle pour la Suisse.»      Oliver Thränert

Venons-en maintenant à la situation sécuritaire actuelle : la guerre en Ukraine dure depuis près de deux ans et aucune paix n'est en vue. Qu'est-ce que cela signifie pour la politique de sécurité de la Suisse ?
À l'avenir, la sécurité européenne doit être organisée contre, et non avec, la Russie. Et chaque pays européen, y compris la Suisse, doit se demander quel rôle il veut jouer dans le renforcement de cette sécurité. C'est une question inhabituelle pour la Suisse.

Pourquoi ?
Prenons l'exemple de l'OTAN : la conseillère fédérale Viola Amherd, cheffe du DDPS, souhaite collaborer plus étroitement avec l'alliance de défense. Mais à l'avenir, l'OTAN examinera de plus près quels sont les États qui l'aident réellement à garantir la sécurité internationale. Les partenaires qui ne veulent participer que lorsque cela leur est profitable seront moins sollicités. L'époque de la coopération à la carte est révolue. L'OTAN suivra également de près la position de la Suisse à l'égard du Traité sur l'interdiction des armes nucléaires. Si elle adhère à l'accord, il sera difficile de renforcer la coopération.

Quels sont les avantages pour la Suisse d'une coopération plus étroite avec l'OTAN ?
Le Conseil fédéral s'est prononcé en faveur de l'achat de l'avion de combat américain F-35. Pour utiliser pleinement les capacités de cet avion, les forces aériennes suisses sont tributaires d'une coopération étroite avec leurs partenaires transatlantiques. Ces partenaires sont presque tous membres de l'OTAN. Cette coopération se traduit principalement par la participation à des exercices et l'échange de données. La situation est similaire pour la défense aérienne basée au sol.

Pouvez-vous nous expliquer pourquoi?
Une défense antimissile purement nationale n'a aucun sens. A l'avenir, la Suisse s'appuiera sur le système américain Patriot. Sans les capteurs des pays partenaires capables de détecter à temps le lancement d'un missile de croisière, ces missiles défensifs ne fonctionneraient pas du tout. Par exemple, l'interception d'un missile tiré depuis la Méditerranée et se dirigeant vers la Suisse nécessiterait une coopération bien rodée avec l'Italie, membre de l'OTAN.

Les forces armées suisses sont-elles prêtes à coopérer plus étroitement avec l'OTAN ?
Certaines forces, comme les forces aériennes et les forces spéciales, le sont certainement. Je vois des défis plus importants pour les forces terrestres en raison du système de milice. Il est difficile d'envoyer des miliciens et miliciennes à l'étranger pour de longues périodes dans le cadre d'exercices. Si certaines sections de l'armée ont une orientation plus internationale que d'autres, il y a également un risque qu'un fossé culturel se creuse au sein des forces armées.

Après l'invasion de l'Ukraine par la Russie, le gouvernement suisse a été mis sous pression. Sa décision de ne pas livrer d'armes à l'Ukraine a été accueillie avec une incompréhension particulière par de nombreux partenaires européens.
En vertu du droit international, la Suisse est liée par les conventions de La Haye de 1907, qui définissent les droits et les devoirs des puissances neutres et ne font pas de distinction entre défenseurs et agresseurs. En conséquence, un État neutre ne peut pas soutenir les parties belligérantes de différentes manières, quel que soit l'agresseur. De nombreuses capitales dans le monde n'ont pas compris cette position.

«L'OTAN suivra de près la position de la Suisse sur le traité d'interdiction des armes nucléaires. Si elle signe l'accord, une coopération plus étroite sera difficile.»      Oliver Thränert

Pourquoi ?
Parce que pour la plupart des États, le traité définitif est la Charte des Nations unies, adoptée en 1945. Celle-ci consacre le principe de la légitime défense, individuelle ou collective. Les États victimes d'une agression militaire peuvent donc être soutenus par des moyens militaires pour se défendre. En comparaison, la Convention de La Haye sur la guerre terrestre est moins connue.

La Suisse aurait-elle dû mieux communiquer sa conception de la neutralité ?
Oui, c'est l'une des principales lacunes de la politique étrangère et de sécurité de la Suisse. La Suisse devrait mieux communiquer ses positions.

Vous avez 38 ans d'expérience dans le conseil politique. Que doivent garder à l'esprit les jeunes chercheurs et chercheuses lorsqu'ils et elles conseillent les décideurs politiques ?
Seuls ceux et celles qui comprennent les besoins, les problèmes et les intérêts des décideurs et décideuses politiques peuvent jouer un rôle efficace. Ils et elles doivent parler le plus possible avec ceux qu'elles et ils veulent conseiller, et le faire de la manière la plus claire et la plus compréhensible possible. En outre, ils et elles ne doivent pas considérer que les politiques doivent mettre en œuvre ce que dit la recherche.

Il ne s'agit donc pas de «suivre la science» ?
La politique a besoin de connaissances scientifiques, mais elle n'est pas la continuation de la science par d'autres moyens. Elle suit d'autres mécanismes tels que la prise de décision démocratique à la majorité, la légitimation des processus décisionnels et la coopération internationale.